INTRODUCTION
Je m’appelle Merry, je crée du contenu spécialisé dans le jeu vidéo et, depuis quelques années, la malentendance est installée dans mon quotidien avec ses potes les acouphènes. Douleurs chroniques, déficiences motrices, troubles cognitifs, maladies dégénératives ou invalidantes : nous serions plus d’un milliard autour du globe à vivre la vie en mode hard. Alors, heureusement, pour s’évader, il y a le jeu vidéo ! Enfin… pas pour tout le monde…
Depuis quelques années, néanmoins, plusieurs voix s’élèvent en faveur d’une industrie plus inclusive : joueurs, développeurs, chercheurs, créateurs de contenu, associations : ces initiatives cherchent à apporter des réponses et des connaissances pour rendre le jeu vidéo de demain accessible à tout le monde. Mais c’est quoi l’accessibilité ? Et ça en est où dans le jeu vidéo ? Si je deviens sourde, est-ce que je pourrai quand même continuer de jouer ? Alors, face à autant de questions et à mon sens trop peu de réponses, j’ai pris ma caméra et je suis partie enquêter sur l’accessibilité dans le jeu vidéo.
c’est quoi l’accessibilité ?
Je viens de me lancer dans la plus grande enquête que j’aurai jamais produite en indépendante, mais malheureusement, ça, je ne le sais pas encore. Pour me permettre de tisser lefil, il m’a fallu tout d’abord comprendre le concept d’accessibilité. Pour cela, j’ai commencé par lire et compiler un maximum de connaissances sur le sujet durant plusieurs semaines. Ma première découverte, c’est que le terme employé dans cette acception est relativement jeune, et beaucoup d’auteurs et de chercheurs ont proposé des définitions. Pour tracer un point de départ, j’en ai noté deux, qui sont des définitions structurelles.
La première s’inscrit dans un cadre normatif, puisqu’elle est tirée des normes ISO. L’accessibilité, c’est “le degré selon lequel des produits, des systèmes, des services, des environnements et des installations peuvent être utilisés par des personnes issues d’une population ayant le plus large éventail possible de besoins, de caractéristiques et de capacités dans des contextes d’utilisation identifiés ».
La seconde vient étoffer la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances. En 2006, la DIPH a proposé à l’ensemble des ministères français de plancher sur une définition commune de l’accessibilité. Sous un prisme plus législatif, L’accessibilité, c’est “[ce qui] permet l’autonomie et la participation des personnes ayant un handicap, en réduisant, voire supprimant, les discordances entre les capacités, les besoins et les souhaits d’une part, et les différentes composantes physiques, organisationnelles et culturelles de leur environnement d’autre part.”
Bon, hé bien… c’est un début. Traditionnellement, l’accessibilité est associée au handicap car rendre le quotidien accessible et les,personnes autonomes sont des enjeux sociétaux majeurs —enfin, en théorie. Néanmoins, l’accessibilité est une démarche bien plus universelle qu’elle n’y paraît, et tout particulièrement dans l’industrie du jeu vidéo. En clair : c’est permettre à tout le monde de jouer, peu importe ses capacités.
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : “Si mon confort c’est de jouer d’une seule main parce que l’autre est utilisée pour boire un Coca ou une bière, ou si je joue d’une seule main parce que je n’ai qu’une seule main qui est mobilisable, en fait on s’en fout de savoir pour quelle raison je joue d’une seule main. Le fait est que je joue d’une seule main et je vais avoir besoin de quoi ? Je vais avoir besoin de réglages qui vont me permettre de jouer d’une seule main. Donc, c’est pas une histoire d’accessibilité au sens « handicap » qu’on a encore un petit peu aujourd’hui, c’est juste une histoire de réglages et de confort d’utilisation.”
C’est là que mes recherches ont pu débuter. Avec cette question toute simple : pourquoi tout le monde ne peut-il pas jouer aux jeux vidéo ?
Pourquoi tout le monde ne peut pas jouer aux jeux vidéo ?
Pour comprendre les enjeux de l’accessibilité dans cette industrie particulière, il m’a fallu cette fois-ci remonter le fil du concept de jeu. Depuis toujours, le jeu —incluant le jeu vidéo— se distingue d’autres types de divertissements par deux traits : l’interactivité et l’incertitude. L’interactivité, c’est le ping pong permanent entre le joueur et le système de jeu : très sommairement, c’est l’ensemble des règles qui définissent la partie. En clair, et contrairement à des supports plus linéaires comme le livre ou le film, le jeu repose sur la réponse permanente du joueur au système et inversement. Cette interactivité crée de l’incertitude car on ne peut pas prédire l’issue d’une partie avant de l’avoir jouée. C’est en ce sens que le jeu repose sur la notion de défi : ce sont les challenges imposés par le système de jeu et dont la réussite ou l’échec conditionnent l’issue de la partie.
Selon Guillaume Levieux “la difficulté [se définit] comme la probabilité d’échec du joueur à un challenge étant donné son niveau, c’est à dire les capacités dont il a fait preuve au cours de ce challenge”.
Elle se décompose en plusieurs axes :
D’une part, une difficulté relative : qui correspond à l’effort fourni par le joueur au moment du défi, et dont les capacités évoluent tout au long de la partie grâce au système de jeu.
D’autre part, une difficulté absolue : qui se caractérise par l’effort fourni par un joueur aux capacités qui lui sont propres pour atteindre les objectifs posés par le jeu.
En clair, la difficulté globale d’un jeu peut largement varier d’un joueur à un autre car nos capacités de base sont différentes. Ainsi, nous ne sommes pas tous et toutes confrontés aux mêmes barrières à l’entrée. C’est autant de paramètres qui, sans possibilité d’être modulés, peuvent constituer des barrières à l’entrée insurmontables.
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « La notion de difficulté elle est très relative, elle est très personnelle. Moi je peux avoir des facilités à lire un texte, quelqu’un de dys va avoir un emmerdement maximal à lire le même texte. Ou les gens qui courent très vite, d’autres qui courent pas très vite, même si on sait tous courir, quoi. Donc, cette notion de difficulté elle est tellement individuelle que c’est une utopie de penser que même en prévoyant les modes de difficulté actuels avec le hardcore, l’intermédiaire, le beginner, c’est déjà mettre des gens dans des catégories dans lesquelles ils ne vont pas forcément se retrouver, parce qu’il y a une telle diversité de capacités, de profils, de sensibilités, de plein de choses qui rentrent en jeu dans cette notion de difficulté —c’est à dire de capacité à rentrer dans l’interaction et rentrer dans l’histoire et tout— que autant mettre en place, et c’est vraiment notre action, mettre en place les outils qui vont permettre à chacun de régler son niveau de confort, parce que chaque personne est expert de sa propre personne et ses propres capacités. Donc, plutôt que de faire des projections ou d’imaginer ce que pourrait être un monde idéal bien classé dans des catégories, laissons la main ou aux gens pour régler leur propre niveau de confort. Et, accessoirement, ça permet aussi de se déresponsabiliser complètement, comme ça, si l’interaction foire, c’est de la faute de l’utilisateur, ce n’est plus la faute du développeur, donc franchement tout le monde a à y gagner. »
L’accessibilité revient donc à s’assurer qu’un jeu est jouable de bout en bout, peu importe nos conditions de base et indépendamment de sa courbe de difficulté. En France, on dénombre environ 12 millions de personnes présentant un ou plusieurs handicaps. C’est presque 1 personne sur 5. Et on retrouve à peu près les mêmes chiffres à l’échelle mondiale. Mais les déficiences motrices, sensorielles ou cognitives ne sont pas seulement l’apanage du handicap. Selon le rapport du SELL publié en février 2020, la moyenne d’âge des joueurs et joueuses réguliers, c’est à dire, jouant au moins une fois par semaine, s’élève désormais à 40 ans. Eh oui : si le jeu vidéo grandit, nous aussi, et les utilisateurs sont irrémédiablement vieillissants. En marge de ces profils, on retrouve également ce qui est souvent appelé les « handicaps situationnels » : c’est un bras dans le plâtre, de la fatigue, la gaucherie et l’ambidextrie, l’impossibilité de jouer avec le son ou tout facteur interne ou externe qui ne permettrait pas de jouer dans nos conditions usuelles.
Ok. Quelques semaines de recherche m’ont permis de pouvoir répondre aux branches “pourquoi” et “pour qui”, mais si tout cela nous donne maintenant une compréhension étendue de la raison d’être de l’accessibilité, cela ne nous explique pas pour autant comment ça marche dans la pratique.
COMMENT ÇA FONCTIONNE ?
Hé bien, ça consiste en des options et des choix d’UX et de game design pour adapter le jeu à un maximum de profils afin que chacun puisse l’expérimenter en fonction de ses capacités. Le jeu vidéo étant un loisir audio-visuel, les outils d’accessibilité vont permettre de moduler l’expérience visuelle mais aussi auditive, sensorielle, cognitive ou encore motrice. La liste est loin d’être exhaustive et la catégorisation est de ma conception, mais j’ai regroupé dans mon carnet les options les plus connues à ce jour.
Au niveau du traitement de l’image, on retrouve le réglage du contraste et de la luminosité, que l’on nous propose même maintenant de régler avant de commencer la partie. On retrouve également des modes daltoniens, au pluriel car il existe plusieurs formes de dyschromatopsies, ou à défaut la possibilité de personnaliser les couleurs. Pour la lecture, on va bien évidemment retrouver les sous-titres, avec paramètres modifiables : la taille, la couleur, le fond, bordures, langue. Et en cas de longue cinématique d’introduction, il peut être opportun de proposer un panneau d’activation des sous-titres avant de commencer la partie. On retrouve également de la retranscription écrite ou plusieurs niveaux de sous-titres : dialogues uniquement, dialogues et environnements, etc. Une alternative de police neutre et / ou adaptée à la dyslexie, et un système de text to speech, ou encore image to text même si cette dernière technologie reste peu utilisée.
Côté audio, on trouve la possibilité de gérer les pistes des voix, effets et musiques séparément, la spatialisation ou non du son, de l’audio-description, ou à défaut de la lecture par un narrateur. Quand la localisation le permet, la possibilité de changer la langue audio.
Pour les commandes, on retrouve évidemment la gestion des contrôles de la caméra (sensibilité, vitesse, distance, champ de vision), l’inversion des axes X et Y ou encore un mode gaucher. Concernant les touches, la possibilité de réaffecter les touches et d’ajouter des commandes alternatives : l’option maintenir au lieu d’appuis répétés, l’option appuyer pour maintenir, l’automatisation de certaines fonctions comme la prise de consommables, et la possibilité de bypasser ou adapter les QTE.
Pour les déplacements, la conduite automatisée ou semi-automatisée et la visée verrouillable ou assistée. Plus spécifique au matériel, a possibilité de coupler la caméra et déplacement sur un seul stick, le déplacement à la souris exclusivement, la possibilité de jouer au clavier seul ou souris seule et à l’inverse la possibilité de faire cohabiter souris et manette. Enfin, la possibilité d’activer et désactiver les vibrations de la manette : pour éviter les douleurs dans les membres, ou à l’inverse pour permettre une meilleure lisibilité du jeu.
Enfin, du côté des options cognitives on retrouve l’existence d’un tutoriel et la possibilité de le refaire lorsqu’on le souhaite, le menu des commandes accessible facilement, un vrai écran de pause et la
possibilité de mettre en pause automatique lorsqu’apparaît du texte pendant de l’action, l’interface utilisateur réglable, ou tout au moins l’ATH, un mode “intuition” ou surbrillance, un mode paisible ou invincibilité, un mode ralenti ou bullet time, une aide à la compréhension en jeu : indicateurs visuels d’aide, proposition d’aide pour les énigmes etc.
Concernant les effets : des effets visuels accompagnant les sons, et des effets de son pour accompagner des actions spécifiques, des indicateurs visuels de bruit et de furtivité (on les retrouve le plus souvent sous forme de jauge), le marquage des ennemis, et de manière générale, ce versant cognitif tire également parti d’un travail de design important afin de créer des menus et interfaces intuitifs et d’éviter la surcharge d’informations et donc leur illisibilité.
Pendant longtemps, les options disponibles ont surtout été techniques et limitées au volume sonore et à l’image. Pourtant, l’accessibilité s’est invitée dans nos consoles bien avant de porter ce nom. Derrière le terme plus subjectif de modes faciles, moyen, difficile, narration ou encore cauchemar se cachent des ajustements de variables et de game design. Les dégâts infligés et reçus, les patterns des boss, la fenêtre de temps de réaction ou encore la difficulté des énigmes sont recalibrés afin d’offrir des expériences adaptées. Voilà les premières modulations accessibles concrètes, bien que cela reste encore très succinct. Depuis les années 2000, les options se sont multipliées de même que les initiatives. Nous sommes à l’avènement des consoles connectées et qui dit connexion dit possibilité de patcher. Durant cette génération, les premières options d’accessibilité per se se sont installées dans le menu option, d’abord grâce à des mises à jour, puis dès la sortie du jeu. Cela n’a rien d’une coïncidence puisqu’à ce moment là, la thématique de l’accessibilité commence à intéresser à la fois la recherche et la législation. Dans les années 2010, ce n’est plus un mode que l’on ajoute via un patch correctif mais bien une réflexion qui vient s’amorcer en amont des décisions de game design.
Cependant je peine encore à comprendre le processus derrière : Comment implémente-t-on concrètement de l’accessibilité dans un jeu vidéo ? Qui s’en occupe ? Comment ? À quel moment ?
Thomas Altenburger est développeur. Avec Flying Oak Games, il développe Scourge Bringer.
Alors, comment implémente-t-on de l’accessibilité au juste ?
Thomas Altenburger, game director (Flying Oak Games) : « Alors, les options d’accessibilité dans les jeux sur lesquels on a travaillé, et a fortiori le jeu sur lequel on travaille en ce moment Scourge Bringer : on essaie d’intégrer une notion d’accessibilité directement dans le game design parce qu’on ne fait pas de distinction entre le game design et l’accessibilité. Pour nous, c’est deux notions qui sont extrêmement connexes et on ne peut pas réfléchir à l’un sans l’autre. Donc on va d’abord voir de quel type d’accessibilité ou de quel type de game design on a besoin par rapport aux idées qu’on veut véhiculer. Par exemple, dans Scourge Bringer, c’est un jeu qu’on veut très rapide de prise en main et qui rentre très rapidement dans de l’action avec de l’action très nerveuse donc on a besoin que le jeu soit lisible en permanence parce qu’on veut que les joueurs soient en contrôle permanent de leur personnage et pour ça il faut qu’on puisse déchiffrer à l’écran et comprendre à l’écran ce qu’il se passe et voir un peu tous les types de menaces, pouvoir analyser la situation, et pouvoir voir ce qui bouge, etc. Et donc, pour ça, on a fait un parti pris déjà dans la direction artistique du jeu qui est qu’on a voulu que les choses soient très contrastées : donc avec un fond —un background— qui est assez sombre et tous les éléments qui, en fait, se déplacent, ont un contraste, qui sont en premier plan et qui est beaucoup plus fort pour que tout ressorte. Et donc, ça, ça aide déjà en grande partie à tout ce qui peut être acuité visuelle, parce que si on améliore l’acuité visuelle pour n’importe qui, ben ça l’améliore quoi qu’il arrive pour tout l’ensemble des joueurs. Donc ça améliore le gameplay du jeu, ça améliore le gamefeel, on arrive mieux à sentir les situations.«
Thomas Altenburger, game director (Flying Oak Games) : « Aussi, d’un point de vue des couleurs, c’est un truc qu’on a intégré dès le début, dès qu’on a commencé à faire des jeux, dans dans tous nos travaux de direction artistique : c’est tout ce qui est traitement des couleurs, donc par rapport au daltonisme etc. Il y a beaucoup de jeux qui utilisent l’artifice du « on a une option qui met un filtre qui permet de modifier les couleurs pour qu’elles soit compatible avec certains types de daltonisme ». C’est un choix, et c’est souvent pas forcément possible de faire autrement. Nous, on a l’avantage de faire des jeux plus en pixel art ou des trucs comme ça, donc on peut beaucoup plus jouer sur les couleurs ; on a le droit de se permettre d’avoir une palette de couleurs beaucoup plus réduite et beaucoup plus contrastée. Donc, ce qu’on fait, c’est que directement dans les palettes de couleurs qu’on définit et qu’on crée quand on fait la direction artistique, on fait en sorte de choisir directement des couleurs qui ne se superposent pas en terme de daltonismes, justement. Donc, une fois qu’on s’assure que cette palette est bonne d’un point de vue daltonismes, ça veut dire que tout ce qu’on met en jeu ne sera pas affecté par des problèmes de contraste. Après, on essaie aussi de faire des traitements quand même un peu plus poussés, parce qu’il y a quand même des couleurs qui peuvent être parfois un petit peu proches. Après, c’est nous : en terme de design, par exemple, on va se débrouiller pour que le joueur ait des projectiles de telle couleur et que les ennemis aient des projectiles de telle couleur pour justement qu’on puisse faire la différence, etc. Donc, nous, notre objectif quand on définit la direction artistique et quand on fait du design d’interface etc., on essaie de faire en sorte que la couleur puisse permettre quand même de se différencier, et dans le pire des cas qu’on puisse au moins mettre des symboles qui soient assez facilement repérables et sans pour autant que ça soit quelque chose qui fasse tâche dans le genre « on a ajouté un symbole pour qu’il se voie ». »
Thomas Altenburger, game director (Flying Oak Games) : « Et dans le gameplay après derrière, on essaie aussi d’adapter tout ce qui est motricité, et aussi cognition. Pour tout ce qui est motricité, nous on a fait un jeu de plateforme qui se joue de préférence au gamepad, mais qui peut se jouer au clavier / souris, etc. Et on a fait un choix très, très tôt dans le développement de ne pas avoir à dépendre de deux joysticks. Parce que pour certains types de jeux —pour les jeux qui se déplacent dans l’espace— jouer avec deux joysticks c’est quelque chose qui paraît un peu naturel parce que c’est les axes de vision et ça se passe comme ça ; mais quand tu joues sur un plan 2D ou a fortiori aussi quand tu n’es pas en première personne, il y a beaucoup de personnes qui perdent ces repères 3D et qui sont incapables, en fait, de gérer dans l’espace deux joysticks en même temps. Et c’est juste parce que la perspective n’est pas la même. Et ce n’est pas quelque chose qui est rare parce qu’en fait ça affecte n’importe qui, même des gens qui n’ont absolument pas de problème moteur ou sensoriel etc. C’est juste comme ça, c’est juste que l’humain est câblé de cette manière là, et on peut perdre ses repères si même d’un point de vue plan 2D on propose autre chose. Donc, ce qu’on a fait, c’est qu’on a dès le début choisi de ne pas utiliser le stick droit de la manette. Le stick gauche est optionnel a priori parce qu’on peut jouer avec la croix directionnelle, mais tu peux y jouer avec le joystick par pur confort. Et on a designé tout le jeu de cette manière là. Et par exemple, dans notre jeu, on peut tirer. On peut tirer, on peut viser, mais du coup on s’est imposé la contrainte de ne pas utiliser de joystick droit. Donc, on a un mécanisme de visée assistée etc. —qui n’est pas forcément une visée assistée, ça demande quand même un peu de dextérité, donc on ne prend pas non plus le joueur par la main, faut pas faut pas non plus faire ça, et il faut quand même que les joueurs aient un sentiment de puissance par rapport à ça et qu’on leur donne justement les clés en main— et on pense que cette démarche ça nous a permis justement d’avoir un gamefeel qui se démarque un peu par rapport à ça, parce qu’on a beaucoup de feedback là dessus : sur le fait que justement le jeu se prenne vraiment très bien en main et qu’il n’y ait pas de problème de ce genre là. Et il y a beaucoup de gens qui nous donnent en contre-exemple d’autres jeux de plateforme qui utilisent les deux joysticks comme Flinthook par exemple. Et Flinthook ils ont eu manifestement des problèmes d’adoption de leurs contrôles quand le jeu est sorti, parce que justement c’est un jeu de plateforme qui nécessitait deux joysticks pour pouvoir jouer : tu en avais un pour te éplacer, un pour viser, et tu devais faire tout en même temps. Et ils ont eu quelques écueils quand le jeu est sorti. Très rapidement, quelques semaines après, ils ont sorti un mode « pro » de contrôles pour pouvoir adapter les joysticks, mais c’était quand même un entre deux parce que leur gameplay n’était pas forcément prévu pour pouvoir se dispenser absolument de cette fonctionnalité. Et c’est en voyant des choses comme ça que, nous, on a pris le problème à l’envers et on s’est dit : on veut d’abord que ça soit très jouable avant d’être très compliqué. Et c’est une fois qu’on avait quelque chose de très jouable qu’après on a construit la complexité dessus, mais sur des bases plus adaptées, on va dire. »
Thomas Altenburger, game director (Flying Oak Games) : « Et ensuite c’est de l’accessibilité d’un point de vue difficulté et apprentissage : que ça soit au niveau des interfaces, on essaie de ne pas faire des interfaces avec des niveaux trop profonds parce que, là aussi, d’un point de vue cognition, on a ce qu’on appelle le fil d’Ariane que tu as dans ta tête : c’est c’est le chemin que consciemment tu sais où tu vas dans une interface, et si tu n’as déjà pas de représentation de cet espèce de fil d’Ariane visuellement et si tu vas trop profondément dans un menu, tu peux très rapidement te perdre. Et d’un point de vue cognition et de repérage, faire le lien entre les éléments ça se fait de manière plus compliquée. Donc, ça aussi : on essaie de réduire les niveaux de profondeur, on essaie de rendre les apprentissages plus souples. Donc, c’est vraiment une histoire de courbe d’apprentissage, et il faut toujours partir du principe que le joueur ne sait pas. Il y a beaucoup de game designers et de développeurs qui partent du principe que si eux ils arrivent à le savoir, c’est que le joueur peut le savoir. Alors qu’en fait c’est complètement faux, il faut toujours partir du postulat que quoi qu’on fasse dans le jeu, un joueur ne peut pas le deviner de lui-même, donc c’est toujours histoire d’expliquer. Pas forcément expliquer en lui mettant un gros panneau devant les yeux en lui disant « regarde, ça c’est ça » et c’est tout un art de réussir à accompagner le joueur parce que ce qu’on dit souvent d’un bon tutoriel c’est un tutoriel qui se voit pas et c’est là tout le challenge d’un point de vue d’accessibilité, de game design, de rendre un jeu accessible : c’est d’expliquer les choses, de montrer les choses à travers l’environnement, le game design etc., et sans avoir à le mettre sous le nez les joueurs. »
Malgré tout, force est de constater que l’accessibilité ne s’est pas encore totalement frayé un chemin jusqu’à nos consoles et PC. Alors j’ai cherché à comprendre pourquoi.
Thomas Altenburger, game director (Flying Oak Games) : « C’est purement des problèmes d’implémentation techniques, on va dire. Parce qu’un truc aussi bête que par exemple la taille du texte : si, maintenant, on fait un développement où on ne prend pas forcément la taille du texte en compte et qu’on fait tout un moteur de jeu, toute une programmation autour d’une taille de texte précise et qu’on ne pense pas à l’avance qu’il faut par exemple qu’on puisse adapter la taille du texte ou qu’on puisse par exemple changer le type de police parce qu’il y a des gens qui disent moins bien certaines polices que d’autres, il y a des polices spéciales aussi pour la dyslexie par exemple etc., et donc si on ne réfléchit pas ça en amont et que notre jeu ou notre moteur de jeu ne permet pas de le faire après derrière, le jour où on va en avoir besoin il va falloir peut-être refaire beaucoup de chantiers, peut-être refaire des fondations qui ont déjà été bâties sur ces manquements, et forcément ça fait beaucoup plus de frictions. Alors que si on y pense en amont, c’est pas un effort supplémentaire forcément important parce que à partir du moment où on peut l’intégrer dans les réflexions ça se fait de manière assez naturelle et on peut construire les choses sans oublier certaines fondations qui au final ne coûtent pas si chères que ça, quoi. Ca coûte plus cher à reconstruire qu’à construire. »
David Tisserand, director of accessibility (Ubisoft) : « La meilleure manière en fait c’est d’y penser dès le début. Je vais être complètement honnête avec toi : tu sais, sur (Assassin’s Creed) Origins, moi je suis arrivé, voilà, un an, peut-être, après le début du développement. Et effectivement, déjà là, tu sais, c’était un peu difficile de retrofit. C’est connu dans l’accessibilité, tu sais, que réajuster l’accessibilité, c’est quelque chose qui est plus coûteux, en fait, que de le faire dès le début. Coûteux en ressources, principalement, parce que tu dois rechanger des choses que tu avais déjà prévues. Donc, maintenant, ce qu’on fait, c’est qu’on commence dès le début. Ca fait partie du développement des jeux pour éviter, justement, de se limiter dans le temps, dans le futur, par des choix tech qu’on aurait faits ou des choix de design. Donc, maintenant, c’est ça : dès le mandat d’un jeu, on rentre en contact avec l’équipe de développement, on contribue aux décisions sur les choix techniques, sur les choix de design, et ça nous permet tout simplement de merger l’accessibilité dans le development process comme n’importe quelle autre feature, en fait. Donc il y a des ressources qui sont allouées à ça, il y a des questions de priorisation comme toutes les autres features… »
David Tisserand, director of accessibility (Ubisoft) : « Voilà, donc ça c’est le côté prod’, sinon, si tu veux, on en parlera peut-être encore plus tard là, mais c’est aussi inclure l’audience. Inclure les joueurs. C’est quelque chose qu’on fait souvent plus tard dans le development process quand on fait des tests utilisateurs —ce qui a été ma carrière avant de rentrer à plein temps en accessibilité—, mais tu peux aussi les inclure. Dès le début du développement en fait. Et ça, c’est quelque chose sur lequel on a communiqué l’année dernière pendant le Global Accessibility Awareness day —tu trouveras des vidéos en ligne de ça—, en fait on fait des workshops, on appelle ça des Accessible design workshops, où dès le début du jeu, avant même, tu sais, qu’il y ait un prototype ou quoi que ce soit, on invite des joueurs en situation de handicap pour nous aider, en fait, pour nous parler de leur expérience. Peut-être, si on pense à passer d’un Assassin’s Creed Origins à Assassin’s Creed Odyssey, dès le début : « ok donc tu as joué à Origins. Quelles sont les barrières que tu as rencontrées ? Comment est-ce qu’on pourrait améliorer ça ? Comment est-ce que tu designerais ce genre de feature ? » et ça, du coup, dès le début ça rentre dans le process de développement et ça permet de développer des features de qualité beaucoup plus facilement que si tu ne faisais pas ça dès le début. »
Les principaux freins à cette implémentation résident finalement dans des conditions pragmatiques de production : pas assez de temps, pas assez de moyens et bien souvent, pas assez de connaissances.
Gwendolyn Garan, knowledge manager (Don’t Nod) : « La problématique avec le handicap en général, avant même de parler d’accessibilité, c’est qu’effectivement n’en parle pas, très peu, très mal. On n’a pas forcément les structures, on n’a pas forcément l’information, on ne sait pas comment la transmettre correctement non plus. Du coup, la population n’y a pas accès, et si la population n’y a pas accès, quand elle va jouer, elle ne saura pas ce que c’est. Donc, parler d’accessibilité auprès des joueurs c’est déjà problématique en soi actuellement, et donc les créateurs de jeux c’est la même chose : s’ils ne sont pas concernés eux-mêmes, ils auront beaucoup de difficulté à aller chercher l’information, et puis après il y a effectivement des problématiques propres à l’industrie qui sont, comme on l’évoquait, de devoir faire des coupes budgétaires parce qu’on n’aura pas le temps, parce que ça coûte trop cher… C’est des problématiques qui sont conjointes, qui vont se rejoindre et qui vont faire qu’on n’en parle pas, qu’on n’a pas le temps de le développer, de le travailler etc. »
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « 2020 c’est juste trois ans après 2017. À l’échelle de l’industrie du jeu vidéo, c’est c’est un jour après, quoi. Une grosse prod’, c’est entre 3 et 5 ans, et on part avec un tel retard et une telle inertie dans les habitudes de l’industrie, en fait, que les choses ne vont pas changer du tout au tout en peu de temps, hélas. C’est encore très jeune. Par exemple, les jeux qui étaient déjà lancés en prod’ en 2017, ils n’ont pas fait un rollback complet pour dire : « on va tout changer parce qu’effectivement c’est important ». Peut-être qu’ils se sont dit « ouais, effectivement c’est important » mais là c’est mort parce que le truc est déjà lancé, on a déjà des budgets, on a déjà fait tout un tas de trucs qui tiennent au fonctionnement de l’industrie, et c’est aussi à prendre en compte. Donc, il y a une grosse inertie à vaincre. Il y a plein de boîtes qui s’y mettent : des grosses, des moyennes, des petites… Ca passe déjà par une étape de compréhension, d’éducation, de formation, de montée en compétences à l’intérieur, et puis après de pas de côté ou de modifications des habitudes de travail qui sont quand même en place. »
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « Ce n’est pas une industrie qui est très vieille, donc là on est encore sur des modèles —alors, c’est pas autant artisanal qu’il y a 20 ou 30 ans, mais quand même— il y a des choses qui sont un peu de l’ordre du YOLO. Ca ne surprend personne : même chez Ubisoft ou même chez les gros acteurs, il y a quand même les périodes de crunch, les périodes de cut, quand on approche de la date de shipping c’est encore très courant, ça veut dire que ce n’est pas quelque chose d’extrêmement carré et qu’il y a un peu d’aléas dans l’histoire. Du coup, l’arrivée d’un nouveau sujet, en quelque sorte —même s’il est, de notre point de vue un peu biaisé, fondamental— va entrer en concurrence avec plein d’autres questions qui existaient déjà avant et qui posaient déjà des problèmes à l’industrie. Donc, aujourd’hui c’est : comment on fait en sorte de les accompagner pour que ce sujet d’accessibilité s’insère le mieux possible et le plus rapidement possible sans perturber finalement les process en place, ou en prenant en compte au maximum les process et les pipelines qui sont qui sont existants ?, et, ça, j’ai envie de dire que c’est quasiment un travail individuel avec chaque structure, et même à l’intervalle d’Ubisoft à la limite c’est un travail individuel avec chaque studio parce que chaque studio va avoir quasiment son moteur de jeu, ses habitudes de dev’, etc. Donc on ne va pas avoir des choses tout homogène, tout accessible à partir de demain, quoi. Il faut un petit peu de temps encore. Mais bon, on est sur la bonne pente, ouais. »
Il y a un autre segment que je souhaitais creuser : c’est celui de la faisabilité. Implémenter de l’accessibilité, très bien, mais est-ce à la portée de tous les développeurs ? Existe-t-il des ressources sur lesquelles s’appuyer ? Des guides ? Des consignes ? Des règles universelles ?
Thomas Altenburger, game director (Flying Oak Games) : « Alors, des ressources professionnelles sur l’accessibilité dans le jeu vidéo, disons qu’il n’y a rien de très formellement académique, on va dire, mais les développeurs et les communautés s’organisent. Il y a notamment quelqu’un qui s’appelle Ian Hamilton qui maintient, en fait, en ligne des guidelines, des trucs de bonne conduite, des « best practices » (rires), et qui reprend, en fait, un peu tout ce qu’on sait, ce qu’on a déjà brassé dans la recherche académique, et qui essaie de l’appliquer, de le transposer au jeu vidéo, et qui fait une veille et une documentation assez exhaustives sur qu’est-ce qui peut être fait ? et qu’est-ce qui est bien pour tel type de problème ?. C’est une ressource qui est déjà très, très, très utile et c’est aussi une personne qui fait pas mal de lobbying auprès des constructeurs, des développeurs, des éditeurs, etc. Donc, c’est très intéressant et c’est toujours fait de manière très bienveillante. À côté de ça, il y a aussi les éditeurs et les constructeurs qui commencent à s’organiser. Maintenant, du côté de, par exemple, Sony, Microsoft, ils ont en interne des guides qui sont à destination des développeurs pour, justement, dire ce qu’on peut faire, ce qui peut être amélioré, avec des recommandations etc. Ca circule librement, c’est public —enfin, public : c’est public dans la sphère privée des développeurs—. Donc, ce sont des documents officiels qui émanent de Microsoft, qui émanent de Sony, etc. et ce sont des documents qui n’existaient pas il y a de ça peut-être deux ans et qui vont maintenant de pair avec tout ce qui est processus de certification. Quand on publie un jeu sur console, on passe par une certification où on doit remplir un cahier des charges purement qualitatif de critères pour que le jeu soit accepté. Jusque là, il n’y a pas de critères d’acceptabilité qui sont propres à l’utilisabilité, donc ça ne nous empêche pas de publier un jeu avec des textes illisibles, mais, maintenant, on a une liste de recommandations optionnelles qui vient avec, et qui est là, qui est disponible et qui est à la portée des développeurs. Et, grosso modo, le message des constructeurs c’est : « regardez, il y a ces choses là qui peuvent rendre la vie des joueurs plus intéressante. C’est facultatif mais sachez que c’est là et que ça existe ». Et donc, on voit que ça bouge du côté des constructeurs et même, quand on va dans les conférences, on a pas mal de gens chez les constructeurs qui sont, en fait, embauchés pour l’utilisabilité. Donc, chaque constructeur a maintenant un pôle utilisabilité où vraiment ils œuvrent, justement, dans cette direction là en particulier, quoi. »
C’est vrai. Cela fait quelques années que les éditeurs ont commencé à faire bouger les lignes. Parmi eux, on retrouve la célèbre entreprise bretonne : Ubisoft. David Tisserand est Senior Manager chez Ubi. Il dirige une équipe dédiée à l’accessibilité. Des workshops de sensibilisation aux tests utilisateurs : pour lui, l’expérience accessible doit transcender la seule expérience de jeu.
David Tisserand, director of accessibility (Ubisoft) : « L’approche, elle est super simple : c’est rendre l’expérience utilisateur complète accessible. Pas seulement les jeux, parce que, oui, c’est important, c’est ça le but de notre démarche et c’est ça que de toute façon Ubisoft développe : c’est des jeux, mais on veut rendre l’entièreté du parcours accessible. Parce que, imaginons qu’on fasse un jeu accessible aux personnes malvoyantes, par exemple, si notre store derrière n’est pas accessible, ça casse un peu la chaîne, on va dire. Donc, on essaie vraiment de rendre tout ça accessible. Ca, c’est le high level,
on va dire. Je t’en parlais, tu sais, il y a aussi tout ce qui est les booth, les événements comme E3, Gamescom… Le customer service etc. Donc, ouais, c’est ça, c’est l’ensemble. Pour arriver à ça, effectivement, on travaille en interne, évidemment : on collabore avec les équipes de développement, que ça soit des jeux ou des services, mais en externe, effectivement, on fait pas mal de collaborations. En France, par exemple, tu peux prendre l’association CapGame dont je suis sûr que tu as entendu parler ? Par exemple, Jérôme on va l’inviter dans de nos studios à Paris, il a dû t’en parler, pour venir évangéliser, parler avec les développeurs, je crois même qu’on les a fait collaborer sur un workshop avec un jeu qu’on ne peut pas citer, qui est encore en cours de développement, donc voilà, tu vois. On inclue des associations et des joueurs en situation de handicap dans le process de développement. Ensuite, on invite aussi des consultants à travailler avec nous. Donc Cherry (Rae) par exemple était à Montreal il y a un peu plus d’un an, la semaine prochaine on invite Brandon Cole —tu pourras le trouver sous le compte Twitter @superblindman—, pour venir faire une conférence et puis faire des workshops avec des jeux qui sont super early dans leur development process. Voilà, donc, on collabore avec beaucoup de consultants et on essaye de les intégrer, comme je te le disais tout à l’heure, dès le début dans le development process pour qu’on puisse y penser le plus tôt possible et que ça soit « plus simple » de rendre nos jeux accessibles pour ces consultants. Qu’est-ce qu’on fait d’autre… ? Je t’en parlais tout à l’heure : la recherche utilisateur, aussi. On invite des personnes en situation de handicap à tester nos jeux plus tard, une fois qu’on a implémenté les features d’accessibilité, et on tente de valider, en fait, nos intentions de design, de vérifier avec l’audience si oui ou non on a réussi à rendre le jeu accessible, et, si la réponse est non, à essayer de d’améliorer le jeu avant qu’il sorte sur le marché. »
J’ai également eu l’opportunité d’interroger Mickaël Newton, qui est chef de projet au département de la responsabilité sociétale. Ce qu’il évoque ici, on va le retrouver en filigrane tout au long de cette enquête : c’est l’importance de la sensibilisation.
Mickaël Newton, In Game Charity Sponsorship Group Manager (Ubisoft) : « Le vrai enjeu c’est la prise de conscience. C’est faire en sorte qu’il y ait le plus de personnes chez Ubisoft, que ce soit côté développement, que ce soit sur les métiers de support, c’est à dire tout ce qui est métier ce qu’on appelle le légal chez nous, dans tout ce qui est métiers juridiques, tout ce qui est les personnes côté user experience, donc l’expérience utilisateur, les labs : c’est de faire en sorte que chacun ne se limite pas ses propres connaissances. C’est vrai qu’en tant que joueur, on peut dire « non mais je sais que le jeu il est accessible pour moi et ça me suffit ». En fait, comment est-ce qu’on fait pour que ce soit accessible au plus grand nombre ? Et je pense vraiment que c’est un message d’Ubisoft : faire en sorte que les jeux soient accessibles au plus grand nombre, et donc de lever ces barrières artificielles, ces barrières mentales, ces barrières autour de ce que l’on connait, nous, et faire en sorte que chacun puisse se sentir à l’aise face au jeu. Et donc, voilà, c’est pour ça que je disais oui et non : c’est qu’il n’y a pas de difficulté quant à aller toujours plus loin, c’est surtout de prendre connaissance des signaux faibles ou des signaux évidents qui sont émis par les joueurs et de faire en sorte que ce soit très concret et qu’on soit assez agile là-dessus. »
Depuis plusieurs années, le corpus de recherches en accessibilité numérique ne cesse de croître, de la recherche utilisateur au design inclusif en passant par l’intelligence artificielle. Jérôme Dupire est co-fondateur et président de l’association CapGame, et également chercheur. Ca consiste en quoi, exactement, la recherche ?
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « Un chercheur c’est une personne qui, peut-être encore jusqu’à aujourd’hui, a la liberté de réfléchir autour de sujets —alors, pour moi, ça sera les interactions entre les humains et les machines— a la liberté de réfléchir à ces sujets et d’identifier des points sur lesquels on voit des déconnades, des choses qui ne marchent pas, des choses qui pourraient marcher mieux et des choses qu’il serait intelligent de créer, et qui a peut-être encore pas la pression qu’on pourrait avoir dans l’industrie avec cette vision un peu plus court-termiste et cette épée Damoclès de la rentabilité économique. Ca ne veut pas dire qu’on fait des trucs qui ne servent à rien, ça veut dire que globalement on peut prendre un peu plus de temps pour aboutir et il est possible qu’on se foire sur certaines idées et dans l’absolu c’est pas grave, au contraire, c’est —et ça, c’est un autre truc qu’on devrait apprendre en France— c’est que l’échec est très formateur, et qu’à un moment donné si on s’est foiré, ça veut dire qu’on va éviter aux autres de se foirer sur les mêmes choix puisqu’on l’aura publié et partagé. Donc, voilà, c’est une idée de construire, construire des choses nouvelles, de les partager avec le plus grand nombre et à notre petite échelle de faire avancer un petit peu le schmilblick et puis les connaissances générales. »
Le jeu vidéo étant une industrie en constante évolution, les dernières décennies ont vu émerger de nouveaux métiers. Parmi eux, on retrouve celui d’UX designer, qui prend en compte les questions d’accessibilité. Mais pour Gwendolyn Garan de l’association CapGame, le métier peine encore à trouver ses marques.
Gwendolyn Garan, knowledge manager (Don’t Nod) : « Moi, ce que j’observe, c’est qu’effectivement on a commencé à en parler il y a un peu plus de 10 ans maintenant, c’est ce qui a aussi motivé à ce que je reprenne des études : parce que c’était quelque chose que j’avais vu donc assez précocement dans mon parcours mais à l’époque il n’y avait pas de métier d’UX designer. Ca n’existait pas. Quand j’essayais de parler, justement, d’accessibilité auprès de collègues dans l’industrie on disait : « mais ce que tu veux faire ça n’existe pas, tu veux faire trois métiers en un, enfin, ce n’est pas possible ». C’était un peu compliqué de pouvoir s’orienter là dedans, et, progressivement, la parole s’est libérée. On a commencé à en discuter, je dis pas que c’est bien, que c’est mieux, on essaye, il y a des tentatives. C’est plutôt du fonctionnement par essai / erreur, là, pour le coup, pour l’instant. Donc, ça s’améliore, on en parle un petit peu plus, mais pour l’instant c’est pas un dialogue construit structuré, que tout le monde a le même etc. Donc, il y a encore beaucoup à faire. Et même en terme de production, pour améliorer ça, il y a encore beaucoup à faire. C’est des nouveaux métiers émergents qui font suite à des recherches d’amélioration de quelque chose. J’ai mis du temps, moi, à trouver le métier, l’étymologie en fait, le terme « UX designer ». Je sais qu’effectivement c’est le web qui a pas mal boosté ça, qui a travaillé dessus, proposé des choses, cherché à mettre des normes, etc. pour les interfaces, tout ça. Après, la problématique que moi je rencontre et que j’ai rencontrée en cherchant cet intitulé de job, c’est qu’on confond l’UX avec l’UI. Je suis graphiste à la base et je ne veux plus jamais faire d’UI de ma vie (rires) donc ça ne m’intéresse pas de faire des interfaces, de les rendre plus fonctionnelles. Je m’intéresse plus à comment ça fonctionne pour l’utilisateur, ce qu’il en comprend, effectivement. Donc, oui, il y aura quand même de l’UI, certes, mais je ne veux pas travailler sur l’aspect graphique / visuel / le rendu final, mais vraiment la partie compréhensive, et, ça, c’est très compliqué, parce que c’est vraiment deux métiers et deux approches totalement différentes. Le métier est mélangé. Dans le jeu vidéo il a encore du mal à vraiment s’identifier et se détacher du reste. C’est pour ça qu’on parle aussi d’UX research : parce qu’il y a un aspect vraiment recherche, et c’est vraiment plus ce qui m’intéresse moi, et voilà. Il y a encore plein de choses à faire, c’est encore une industrie qui est récente et qui a encore beaucoup à planifier, à organiser et à démocratiser. »
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « L »accessibilité c’est de l’UX. Donc à un moment donné, moi, ce qui me ferait kiffer, c’est qu’on arrête de parler d’accessibilité et qu’on parle juste d’UX au sens général, et que tous les réglages dont on a besoin quand on n’a pas de bras ou quand on a des problème de vue ou juste quand on aime bien jouer complètement avachi sur un canapé d’une seule main pour tenir le Coca de l’autre, ça soit dans les réglages et puis que, voilà, c’est plus un sujet de différenciation de profils, de machins, on s’en fout. »
20% de personnes en situation de handicap à travers le monde… des joueurs vieillissants… Statistiquement, cela équivaudrait à croiser au moins une vingtaine de personnes en besoin d’accessibilité dans chaque partie de PlayerUnknown’s BattleGrounds ou Fortnite battle royale et au moins une personne dans chaque match de League of Legends ou d’Overwatch. Ca fait quand même un paquet de joueurs ?! Alors pourquoi, quand je lis un test de la presse spécialisée, rien n’y est jamais fait mention ? Comment peut-on encore, en 2019, trouver avec des jeux aux sous-titres non modifiables ? Quelle est la position des éditeurs face à cette frange de joueurs potentiels ? En fait : pourquoi semble-t-on désintéressé par l’accessibilité ?
Pourquoi tout le monde s’en fout ?
Pour répondre à la question, je me suis d’abord intéressée à la question inverse, que j’ai posée à toutes les personnes que j’ai eu la chance d’interviewer : et elles, pourquoi se sont-elles intéressées à l’accessibilité en premier lieu ? Cela a révélé un point commun à la majorité des personnes interrogées : beaucoup d’entre elles ont été sensibilisés, que ce soit par le biais de rencontres avec des personnes déjà sensibilisés ou bien par leur propre expérience. Un autre exemple de la place de la sensibilisation dans cette thématique. Alors, d’où peut bien venir ce manque d’intérêt quasi général ?
Pour tenter de répondre à la question,nj’ai également convié mes patrons, les producteurs et productrices de ce documentaire, à une petite foire aux questions improvisée. Certains et certaines travaillent dans le jeu vidéo et les nouvelles technologies, et d’autres pas du tout. Pour certains et certaines, la thématique de l’accessibilité fait partie de leur quotidien, et pour d’autres, cette foire aux questions était une première plongée. Alors selon mes boss : pourquoi n’entend-on pas plus parler d’accessibilité ?
« Parce qu’on ne leur donne pas la parole ou qu’ils réussissent pas à prendre cette parole. Il suffit de regarder le paysage médiatique du jeu vidéo et de ses influenceurs » – « Parce qu’être considéré comme handicapé c’est encore vu comme une insulte dans l’inconscient collectif. On va se dire » ce jeu ne me va pas » au lieu de « ce jeu n’est pas adapté » – « Simple et compliqué à la fois. La différence dérange et le jeu vidéo est une industrie motivée, comme toutes, par l’argent de prime abord. Rendre accessible, c’est dépenser plus. » – « Parce que la validité c’est considérée comme la normalité et que beaucoup ne prennent pas le temps de penser à ces personnes non valides. Du coup, l’accessibilité n’est pas prévue dans le budget. » – « C’est sans doute un problème de mentalité qui évolue trop lentement et un problème de représentation »
De la représentation quasi inexistante de ces populations aux problématiques de coûts et de temps de production des jeux en passant par la valorisation sociétale et l’entre-soi : ces freins à la propagation de l’information sont concrets, et ce ne sont pas les seuls, comme on aura l’occasion de le voir. Cependant, depuis une poignée d’années, la donne est en train de changer.
Dans cette indifférence quasi générale, il y a un média qui profite aux personnes en besoin d’accessibilité.
Gwendolyn Garan, knowledge manager (Don’t Nod) : « Quand bien même, et je remercie les gens qui font des streams, etc., il y a encore beaucoup de fois encore j’achète un jeu et je ne peux pas jouer… Donc je remercie les streams d’exister parce que maintenant je peux vérifier que —peut-être— je pourrai y jouer ou pas, voilà, ça c’est aussi une solution. »
Sur ces plateformes de diffusion, les streamers peuvent être amenés à revêtir plusieurs casquettes, dont celle de testeur. Et lorsqu’on ne dispose pas d’informations sur l’accessibilité d’un jeu, il devient très facile de pouvoir poser la question à la personne qui tient la manette en direct de l’autre côté de l’écran. Ca, c’est du côté des joueuses et des joueurs, mais ces dernières années ont également accueilli beaucoup plus de créateurs et créatrices de contenu. Parmi eux, AcidCherry a accepté de répondre à mes questions.
NanoLoutre, streameuse (Twitch) : « Je suis une femme handicapée de bientôt 34 ans. Le début de mon aventure vidéoludique a commencé le jour où j’ai croisé Super Mario Bros 3 sur NES quand j’étais petite. Je ne savais pas encore mais c’était le début d’une grosse grosse grosse histoire d’amour avec le jeu vidéo. Et depuis trois ans, malgré les peurs, les doutes que ça peut engendrer dans ma situation, j’ai osé tenter l’aventure du stream sur Twitch. Je suis atteinte d’un syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile. Le syndrome d’Ehlers-Danlos, c’est une maladie génétique qui affecte fortement la production de collagène dans le corps. Pour résumer plus basiquement, tout est plus ou moins défectueux chez moi (rires) : la peau, les tendons, ligaments, muscles etc. et avec le type hypermobile, on ajoute à ça au quotidien en particulier des déboîtements, des subluxations, etc. Du coup, au niveau du jeu vidéo, mon handicap se traduit par une fatigabilité extrême, les douleurs qui viennent très, très vite aux gestes répétitifs, trop rapides, l’obligation de faire beaucoup de pauses pour pouvoir tenir toute une session sans me faire trop mal, la difficulté pour lire les sous-titres trop petits, l’incapacité de pouvoir jouer sur un clavier classique ainsi que de pouvoir réaliser les QTE rapides les combos, quoi que ce soit, même sur manette. De ce fait, certains types de jeux —à grand regret— sont devenus quasiment injouables pour moi, comme par exemple sur les derniers Mortal Kombat où malgré toutes mes tentatives, je n’arrive pas, voilà, je n’arrive plus à pouvoir terminer les tutos d’entraînement sur les combos. Ca fait de moi une joueuse atypique mais une streameuse encore plus atypique parce que malgré le fait que, voilà, que j’ai beaucoup de plaisir à partager mon expérience de jeu avec les gens, c’est toujours très, très frustrant parce que c’est vraiment mon état de santé qui décide à ma place de mes possibilités de planning, que ce soit pour mes streams, mais aussi pour les sessions de jeu solo ou avec des amis hors caméra. »
NanoLoutre, streameuse (Twitch) : « Dans un premier temps, je pense qu’il faudrait beaucoup d’ouverture d’esprit. Avant de se moquer du skill, de l’utilisation d’un matériel adapté ou d’une manette, ou encore du mode de difficulté choisi pour le jeu par une personne handicapée, ce serait bien de se poser un petit peu et se rendre compte que au-delà de ce que les autres joueurs voient, à son échelle, on est peut-être déjà en train de faire sa meilleure partie. (rires). De mon point de vue, avec mon handicap, je suis très très très loin d’être une PGM. Mais ça ne m’empêche pas, voilà, ça ne m’empêche pas de pouvoir tuer froidement le joueur en face. Même avec ma souris adaptée, même avec mon clavier une main. Et j’en suis très fière ! Dans la société, on a cette image du handicap qui reste quand même très primaire sur ses capacités et ses besoins. Un handicapé est vu de base comme une personne diminuée donc par extension ses désirs, ses passions, ses rêves, sont moindres. Bah, vu que ses priorités, voilà, sont vitales, médicales, hygiéniques, on a tendance à oublier que peu importe le handicap qui nous accompagne, on reste un être humain et on a envie aussi de découvrir des choses, de s’amuser de partager. Même si, pour nous, un équipement purement médical, par exemple, reste prioritaire, on n’en reste pas moins consommateurs pour des choses considérées futiles pour nous. »
Plusieurs sites spécialisés ont également vu le jour. Parmi eux, on retrouve Game Lover ou encore Can I Play That. Ils sont rapidement devenus de précieuses ressources pour l’industrie en proposant des tests d’accessibilité mais également les guides de compréhension et des bibliothèques de documentation publics les mieux fournis à ce jour.
LES ACCESSOIRES
Au delà des jeux eux-mêmes, il y a un petit accessoire dont l’avancée ne rime pas toujours avec accessibilité. Depuis toujours, la manette et le duo clavier/souris sont indispensables pour jouer, car ils sont nos relais physiques pour assurer l’interactivité. Seulement, voilà : des doubles sticks aux gâchettes à résistance en passant par les boutons à l’arrière, ces accessoires semblent avoir été pensés pour deux mains et dix doigts fonctionnels…et c’est tout. Alors, quand on n’a pas la chance d’avoir ses membres en parfait état de fonctionnement, jouer devient très vite compliqué. De la dystrophie musculaire à l’hypersensibilité tactile en passant par la paralysie, j’ai tenté de comprendre en quoi la manette peut être un frein et quelles sont les alternatives possibles. J’ai discuté avec des joueurs et joueuses concernés par cette problématique. Et leurs réponses m’ont tout d’abord emmenée dans un endroit inattendu : les FabLabs.
Je n’avais jamais entendu parler des FabLabs avant qu’ils me soient évoqués lors de ces entretiens. Après quelques recherches, le sujet paraît passionnant. Bon, ce n’était pas vraiment prévu, et je commence à avoir déjà pas mal de mois de travail derrière moi, mais je veux aller visiter un de ces FabLabs. Nous sommes quelques jours plus tard à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris. Me voilà accueillie par Mélissa Richard, Thibaud Menanteau et Peter Pescari pour découvrir le Carrefour Numérique², au sein duquel se trouve l’un de ces fameux FabLabs.
Thibaud Menanteau, responsable du Carrefour Numérique² (Cité des Sciences et de l’Industrie) : « Ce qu’est un FabLab et son objectif ? Je vais plutôt parler de son objectif : c’est de rendre accessible au plus grand nombre des outils de fabrication. On a tendance à dire « numériques » parce que c’est un lieu qui vient à la base du monde numérique de par l’Open Source, l’Open Innovation mais pas que numérique, en fait. On a aussi des outils manuels. Donc, l’objectif principal, c’est de rendre accessible à n’importe qui l’accès à ces machines. Ca passe par une phase d’acculturation, d’apprentissage, comment on apprend à utiliser ces machines pour pouvoir réaliser ses projets. Pour ce qui est du Carrefour Numérique², on a une modalité d’utilisation qui est un peu spécifique : l’espace est en ouverture libre et gratuite, donc les gens peuvent venir quand ils le veulent dans les horaires d’ouverture. Ils ont en permanence deux médiateurs qui les accueillent pour leur présenter l’espace, mais également leur présenter les machines, les accompagner sur l’utilisation des machines et même les accompagner dans la réalisation de leurs projets, puisque on peut rencontrer des problématiques. »
« Donc, on est là pour aussi accompagner à la réalisation du projet avec deux valeurs qui sont extrêmement fortes au sein de cet espace : le premier c’est l’apprentissage par les pairs, donc on va favoriser l’échange de savoir entre usagers. On peut avoir une personne qui est « une bête » —si je puis dire ainsi— en électronique, une autre en impression 3D, hé bien, si, dans cet espace, on a ces deux personnes en même temps, ce n’est pas nous qui allons transmettre le savoir : on va favoriser le lien entre ces deux personnes pour qu’elles puissent s’échanger leurs compétences. La deuxième valeur importante c’est le droit à l’erreur. C’est à dire que quand on apprend, on peut planter la machine, tout simplement. Ca fait partie du jeu, ça fait partie de l’apprentissage, donc c’est aussi quelque chose que l’on met en avant, et on n’a pas ce souci là, en fait. Les gens ont le droit de faire des erreurs au sein de cet espace sur l’utilisation des machines, ils apprennent que « ben, en fait, il ne faut pas faire ça sur la machine ». »
On m’a plusieurs fois évoqué les FabLabs comme étant la première et plus simple solution aux problèmes liés à l’utilisation de la manette. Dans ces lieux d’entraide et de partage, il est facile et peu coûteux de bricoler une solution viable, sinon carrément pratique. On ne partage pas seulement les ressources, mais on mutualise aussi les connaissances, et cette branche Open Source profite notamment aux personnes ayant des particularités motrices.
Thibaud Menanteau, responsable du Carrefour Numérique² (Cité des Sciences et de l’Industrie) : « On a une grande variété de publics qui fréquente l’établissement. C’est vrai qu’au début c’était plutôt un noyau geek, c’étaient un peu les gens qui étaient dans leur garage qui fabriquaient entre eux, et au final, nous, ça va du plus jeune —une dizaine d’années, qui veut s’imprimer une figurine parce que ça lui plaît à l’impression 3D. Il découvre l’impression 3D et il fait sa figurine—, après on a un porteur de projets qui a envie de prototyper —nous, on reste dans une phase de prototypage. Après, on le réoriente, s’il veut aller plus loin, vers d’autres structures qui sont là pour faire de l’incubation. Nous, on n’est pas dans l’incubation—, on a des retraités pour qui, finalement, on est leur deuxième maison —parce qu’ils viennent à la fois pour bricoler, mais aussi il y a le lien social derrière, ils se font des amis, ils échangent autour d’un sujet commun—, donc on a vraiment un public relativement large en terme de typologie. »
Thibaud Menanteau, responsable du Carrefour Numérique² (Cité des Sciences et de l’Industrie) : « Un FabLab, si on enlève les gens, ça ne vaut rien. C’est ce qui fait la richesse de cet espace : ce sont les gens, les échanges entre eux. On va avoir une personne qui va venir pour un projet une autre pour un autre, ils vont échanger et puis, au final, ils vont avoir l’idée d’un nouveau projet. Et, régulièrement ce qu’il se passe chez nous, en fait, c’est qu’ils laissent tomber leurs propres projets et se mettent à deux sur un projet, et, souvent, les projets « communautaires », on va dire, sont bien plus intéressants pour eux que les projets individuels. »
D’ailleurs, certains FabLabs organisent même des ateliers dédiés à cette problématique, et souvent, ils sont même gratuits. C’est notamment le cas du Carrefour Numérique².
Mélissa Richard, médiatrice numérique (Cité des Sciences et de l’Industrie) : « Nous, on a une problématique au sein de la Cité des Sciences en général, et particulièrement au Carrefour Numérique², qui est de rendre nos animations accessibles. C’est une réflexion qu’on avait depuis un moment parce que dans un FabLab c’est pas forcément évident. On a plusieurs animations, notamment les animations pendant les vacances scolaires, où on doit réfléchir à comment on les rend accessibles. Et donc, là, c’était les jeux de société ces vacances là : fabrique ton jeu de société, et du coup on s’est dit « ok, on fabrique des jeux de société, mais, en fait, après, s’il n’y a que les personnes valides qui peuvent jouer avec, c’est un peu dommage » et donc on a commencé à réfléchir à ça et, en fait, on a impliqué le public, on a fait des ateliers où on impliquait le public sur la réflexion de comment modifier des jeux pour les rendre accessibles à différents types de handicaps. Ca s’est fait sur plusieurs sessions et voilà. Ce qu’on a tendance à faire quand on veut rendre quelque chose accessible, c’est qu’en fait on va penser– très vite on est sur des jeux très classiques qui sont des jeux à deux, et finalement dans les retours qu’on a eu c’était : « c’est gentil mais moi j’aimerais bien des jeux plus familiaux, ou en tout cas entre amis, ou des trucs où on peut jouer à plusieurs ». Et en fait on va penser « il y a une personne en situation de handicap » sauf que, potentiellement, on a plusieurs personnes avec plusieurs handicaps différents et en fait la difficulté elle va être là : elle va être de rendre un jeu accessible pour plusieurs types de handicaps. En tout cas, nous, c’est qu’on a envie de travailler. »
Dans la plupart des FabLabs, l’accessibilité ne s’arrête pas à ce que l’on peut fabriquer. Elle est aussi dans les infrastructures. La plupart de ces lieux est accessible aux personnes à motricité réduite, et ça n’a encore une fois l’air de rien, mais avoir la possibilité de s’y déplacer même lorsqu’on a des particularités, c’est presque un luxe.
Thibaud Menanteau, responsable du Carrefour Numérique² (Cité des Sciences et de l’Industrie) : « Dans la démarche de rendre accessible le lieu au plus grand nombre, nous, aujourd’hui, on est dans une réflexion qui a été amorcée il y a quelques mois sur justement revoir la sécurité et la signalétique au sein de l’espace pour que le plus grand nombre puisse utiliser les machines. Et en parallèle de ces machines, on fait également des ateliers de médiation, d’initiation aux outils. Donc on veut également essayer de réfléchir à rendre accessible ces ateliers d’initiation pour avoir une complémentarité à la fois apprentissage pour tous et utilisation pour tous. »
Durant ma découverte du Carrefour Numérique², j’ai pris connaissance des autres sections qui cohabitent avec le FabLab. Ici, on ne fabrique pas seulement des choses, on parle aussi de jeux vidéo.
Peter Pescari, médiateur e-Lab (Cité des Sciences et de l’Industrie) : « Alors, le concept de l’e-Lab en fait c’est de montrer le jeu vidéo autrement à travers des thématiques. Là, par, exemple on était sur l’e-Lab version 1 —ça marche un peu comme une série télé, presque—, là on va attaquer la saison 2. Donc, la thématique sur laquelle on est encore jusqu’en septembre c’est l’interactivité : la question de se poser la question sur cette singularité du jeu vidéo : l’interaction, qu’est-ce que ça implique en terme émotionnel ? En terme d’implication dans le jeu ? Et dès septembre, on redémarre sur une nouvelle thématique, donc on va changer tous les contenus des jeux —enfin, tous les jeux vont être changés—. On a des cartels, c’est des cartels dynamiques, c’est des tablettes tactiles, ce qui nous permet, en fait, de relier le jeu à la thématique et que les gens, quand ils
jouent, puissent se poser la question de : « ok, ce jeu, qu’est-ce qu’il m’apporte comme réponse à la thématique ? ». Comme on est justement sur une thématique jeux vidéo, cet espace e-Lab, et c’est ultra important, c’est un des espaces à la Cité des Sciences sur lequel il y a de la médiation tout le temps. Cette médiation dont je parlais, en fait, c’est des ateliers grand public ou pour les scolaires, et donc, du coup, c’est de proposer des médiations en lien avec la thématique. Là, on est encore sur la thématique interaction, et donc notamment on a des médiations sur trois axes principaux : les métiers, les formations du jeu vidéo, l’impact sociétal du jeu vidéo, voilà, ce que ça pose comme questions, et les nouvelles technologies. Tu vois, par exemple, sur les nouvelles technologies, on s’est dit « on ne peut pas passer à côté de la réalité virtuelle », donc, on a des ateliers qui parlent de réalité virtuelle ; les gens peuvent essayer la réalité virtuelle. Sur la question des nouvelles technologies, on parle aussi de l’IA : qu’est-ce que l’IA dans le jeu vidéo ? Est-ce qu’elle existe dans le jeu vidéo ou est-ce que l’on parle plutôt de système expert ? On a aussi un débat sur, justement, l’impact sociétal, sur la singularité du jeu vidéo : l’interaction, est-ce que c’est pas ça qui, au final, pousse le jeu vidéo en tant que dixième art ? Car ce n’est pas encore officiel. Et aussi, cette reconnaissance institutionnelle du jeu vidéo comme art et puis on le voit de plus en plus dans le jeu vidéo on a énormément de professions artistiques, quoi. On a des graphistes, des illustrateurs, des compositeurs, des acteurs, enfin, voilà, quoi. Donc, du coup, la médiation est très importante sur l’espace il a parce que c’est ce qui permet aux gens de jouer, mais aussi que ça ne soit pas qu’une salle de jeux. C’est bien sûr pas le but, c’est que ça soit un espace sur lequel les gens se posent des questions repartent avec des éléments de réponse. »
La seconde solution qui m’a été évoquée, c’est le sur-mesure. Dans l’hexagone, on trouve quelques entreprises qui créent des accessoires pour adapter et remplacer la manette traditionnelle. C’est le cas de HitClic. Je suis descendue dans mon Var natal pour rencontrer son fondateur, David Combarieu, à la Maison du Numérique et de l’Innovation à Toulon. Quand Théo, le beau-fils de David, a perdu l’usage partiel de ses membres supérieurs suite à un accident, ils se sont posé la même question que moi : et maintenant, ils vont faire comment pour jouer ?
David Combarieu, co-fondateur de Hiclic : « Hitclic, c’est la concrétisation du projet Handigamers au niveau matériel, puisque, ce projet, on l’a lancé en 2017 avec Théo et l’objectif de Handigamers c’était de trouver des solutions matérielles pour des gens un peu dans la situation de Théo —ou dans d’autres situations, puisque rapidement on a été sollicité par des joueurs un peu partout en France qui avaient des problèmes vraiment matériels pour utiliser les manettes standard—. Et donc, suite à plus d’un an de travaux, on a décidé, vraiment, d’en faire une entreprise et de concevoir des solutions, de partir sur des petites séries et d’essayer de trouver des partenaires aussi, financiers et industriels. Aujourd’hui, les produits qu’on met le plus en avant, ce sont des boîtiers qui sont configurables en ligne directement sur le site et qui permettent à des joueurs avec des motricités diverses de se faire leur propre configuration, leur propre boîtier de jeu. Ca ressemble un peu à des boîtiers arcade, on va dire, des sticks arcade, mais il y a beaucoup plus d’options : il y a des possibilités de joystick analogique, donc c’est beaucoup plus précis qu’un stick arcade de base, et, surtout, on peut configurer le positionnement des boutons et des joysticks comme on veut. »
Ce qui m’a intéressée dans la démarche de David, c’est la manière dont il a créé une gamme d’accessoires accessibles. Notamment il a choisi et conçu ses produits, comment il les a fabriqués ou encore comment est-ce qu’il a remédié aux problèmes de coûts de fabrication et de distribution.
David Combarieu, co-fondateur de Hiclic : « Les premières versions, c’était vraiment très artisanal. J »ai acheté des boîtiers de différentes tailles, on a percé les trous, mis des boutons dessus… Les premiers, on avait la manette qui était fixée sur le boîtier parce qu’on n’arrivait pas encore à déporter les joysticks et toutes les fonctions, donc c’était vraiment du bricolage. Et puis à force de fournir ce type de matériel à des joueurs, on en a ressorti une certaine expérience et un certain nombre de configurations qu’on pouvait regrouper, et donc faire un produit qu’on pourrait configurer pour plusieurs usages. Voilà comment on a commencé. Et, maintenant, on fait des petites séries de boîtiers plastiques avec des options qui vont dessus se positionner en fonction de la demande. Il y a un autre aspect qui est plus compliqué : c’est la modification de manette standard, donc, prendre une manette PlayStation la modifier pour une personne. Ca, c’est beaucoup plus compliqué. Donc, là, techniquement, c’est difficile à faire, ça prend beaucoup de temps, donc là dessus on commence à se rapprocher d »industriels pour nous aider là-dessus. Aujourd’hui, dans ce qu’on fait avec HitClic, c’est la main d’oeuvre qui coûte cher. Il y a deux problèmes quand on fait de l’artisanal, du sur mesure 100% : c’est la fiabilité, puisqu’on fait des pièces uniques donc à chaque fois c’est un nouveau travail qu’on fait, et, deux, c’est le temps qu’on y met, puisque si on fait pas tout le temps la même chose, on perd pas mal de temps à expérimenter, à chercher des solutions, c’est là dessus que des partenariats industriels peuvent aider beaucoup à mutualiser, à optimiser, et du coup à réduire les coûts aussi. »
En 2018 et pour la première fois un constructeur d’envergure mondiale a dévoilé sa version d’une manette accessible. 89€, disponible partout et compatible avec la plupart des jeux : c’est la manette adaptative Xbox. Elle se présente sous la forme d’un hub auquel on peut connecter des accessoires individuels grâce à une connectique jack. Au centre, deux boutons, une connectique en USB-C, du Bluetooth, trois pas de vis pour se fixer sur un maximum de supports et trépieds, et un revêtement pour la faire adhérer aux surfaces. Un autre géant des accessoires gaming leur a vite emboîté le pas en sortant un kit adaptatif pour cette manette adaptative : c’est Logitech. J’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec Mark Starrett, chef de produit du kit adaptatif Logitech. Lorsque Xbox a développé la manette adaptative, Logitech leur a emboîté le pas en créant un kit d’accessoires complémentaires, afin d’étendre les solutions dédiées aux joueurs et joueuse en besoin d’accessibilité.
Mark Starrett, chef de produit (Logitech) : » *On va créer un kit. On va créer un kit qui pourra être utilisé sans l’aide d’un ou une ergothérapeute, et assez abordable pour que les gens n’aient pas l’impression de se ruiner en l’achetant. Un kit qui aura de l’intérêt, même si on n’utilise pas tous les composants.* Voilà le coeur de notre réflexion, qui nous a permis d’embrayer sur le reste. Par exemple, on a vu qu’il y avait sur le marché, il y a quelques accessoires qui ont leur petit succès auprès des gens : le gros bouton, ici, facile à presser lorsqu’on a des soucis de motricité, il y a les plus petits boutons qui prennent moins de place, donc on peut en placer plein les uns près des autres, et, enfin, il y a ces tout petits boutons tactiles à pression légère, et quand on a peu de motricité, on peut les utiliser en dehors du tapis, on peut fixer au dos d’une manette pour remplacer un bouton sur lequel on ne pourrait pas appuyer, des choses comme ça. Donc, on a designé notre propre version de ces boutons avec des fonctionnalités un peu cool. Déjà, par exemple, ils possèdent tous un revêtement adhésif en velcro et une attache en velcro, comme ça on peut juste les poser et ils vont d’adhérer à n’importe quelle surface un peu pelucheuse. Il y a également sous chaque bouton deux pas de vis, comme ça, on peut les fixer de manière permanente quelque part avec une vis M3. Il y a une chose à laquelle j’ai immédiatement remédiée —je suis fan de jeux de course et de jeux de sport… des trucs comme Rally, Forza, ce genre de jeux—, et personne n’a jamais fait ce genre de petites pédales de frein et d’accélération —chez nous, ça s’appelle des gâchettes variables—. Et ces gâchettes variables reproduisent les gâchettes en haut des manettes. Et, donc, quand on conduit, on a besoin d’une pédale d’accélération, on a besoin d’une pédale de frein, et on a vu des personnes jouer en utilisant ces gros boutons, donc ça veut dire que —imaginez que vous conduisez une voiture et dès que vous accélérez, vous accélérez à fond, et dès que vous freinez, vous freinez à fond— c’était une catastrophe ! Alors j’ai dit : « il faut qu’on crée ces deux petits bidules et qu’on les ajoute au kit pour que les gens puissent profiter de ces jeux comme il se doit. »
Mais leur démarche ne s’arrête pas au design des accessoires. L’entièreté du kit a été pensé pour être accessible.
Mark Starrett, chef de produit (Logitech) : « Et ensuite, on s’est intéressé à la manière dont les gens géraient la disposition de leurs boutons, et on a créé ces petits tapis. D’abord un rigide, comme celui-là, qui a une bonne tenue, et ensuite nos designers se sont dit « et si on en faisait un pliable, un peu comme une couverture d’iPad ? ». On peut le poser sur les genoux, on peut le poser sur un appui-tête, on peut le poser n’importe où. Donc, on a créé ça, et on a eu du mal à trouver une attache sans système d’aimant, car la communauté nous a dit que les aimants pouvaient poser poser problème, et donc, nous en sommes venus à ce système d’attache coulissante pour former un seul grand tapis, pour le poser par terre par exemple. Les premiers qu’on a faits, ils étaient comme tout le reste de ce qu’on design ici : c’est à dire en noir, évidemment. Donc les tapis étaient en coloris noir et la communauté nous a fait un retour là-dessus en nous disant : « on est beaucoup à avoir des problèmes de vue, et si vous faites des boutons noirs sur un fond noir, on ne pourra juste pas les voir ». Donc, voilà, un gris neutre les fait bien mieux ressortir. Nous avons aussi pris en compte d’autres petites choses, comme par exemple le gros tas de câbles : tout le monde a son propre setup qui demande parfois d’être débranché. Donc, déjà, tous les câbles sont maintenus grâce à des petites languettes en velcro, et on peut les attacher entre eux sans avoir peur de les emmêler. Nous avons créé des étiquettes avec des pictos pour marquer chaque bouton. Il y en a deux pour chaque bouton, comme ça, quand on doit déconnecter des câbles, on peut facilement reconnaître à quel bouton correspond quel câble si on veut les reconnecter plus tard. Et enfin, nous avons designé la boîte pour qu’elle puisse être ouverte et refermée simplement, contrairement à tous nos autres packagings qui ont besoin d’une lame pour être ouverts. Et si on enlève la petite séparation qui se trouve à gauche de la boîte, on peut même remettre les tapis tels quels dedans avec les boutons dessus, et il restera encore de la place dans la boîte. Comme ça, ça on n’a pas à devoir tout détacher et repositionner à chaque fois. Après, voilà, c’est surtout beaucoup de tests, beaucoup d’essayages et l’implication des gens dans ce projet pour en arriver à ce kit. Donc on a créé toutes ces pièces et on s’est demandé ce que devrait contenir la boîte. On a pas mal changé la composition du kit parce qu’il fallait par exemple plus de petits boutons que de gros, et on s’est arrêté sur ça : trois gros boutons, trois plus petits boutons, quatre petits boutons à pression légère et les deux gâchettes. Et, en fait, on a appelé ça notre « solution 80% » parce qu’on voulait une composition qui puisse solutionner un problème de jeu majeur pour 80% des utilisateurs. »
J’ai relevé une autre information importante : pour l’une comme l’autre entreprise, le secteur n’est pas rentable. Pour autant, selon eux, l’accessibilité passe aussi par l’abordabilité de ces produits, et donc, leur prix.
Mark Starrett, chef de produit (Logitech) : « Et, donc, notre plus gros défi, c’était que ce produit ne soit pas proposé à un prix ridiculement conséquent. Notre voeu pieu, c’était que le kit ne coûte pas plus cher que la manette elle-même. Et, finalement, il est sorti au prix de $99 / 99€. Honnêtement, on n’a fait aucune plus-value là dessus cette année, mais c’était la bonne chose à faire, ça fait partie de nos missions d’entreprise. Je veux dire, ce n’est pas ça qui va ruiner l’entreprise, et ça rend accessible le jeu vidéo à plus de monde, donc, pour nous, c’est un bon début. Et il a aussi fallu qu’on arrive à déterminer la taille de ce groupe. On avait quelques chiffres-clé, mais aucune donnée concrète sur le nombre de joueurs, donc on a dû y aller au jugé. Je crois que c’est à peu près tout ; il y a plein d’autres languettes dans la boîte, plein d’attaches supplémentaires, des étiquettes neutres, comme ça, on peut écrire ce qu’on veut dessus… Enfin, voilà, quoi, il y a plein de petits trucs cool là-dedans. »
Une dernière démonstration de la place de la sensibilisation dans cette thématique s’est jouée lors du SuperBowl 2019. Aux Etats Unis, il s’agit d’un événement sportif important, et Microsoft, qui faisait partie des annonceurs, a dédié son spot publicitaire à la manette adaptative Xbox. Sachez que ce n’est pas un choix dénué de sens, bien au contraire. Pour Satya Nadella, l’actuel PDG de de Microsoft, le design inclusif doit et va devenir un axe de développement beaucoup plus présent pour les années à venir. Selon lui et dans une interview accordée à Linkedin pour leur format BigIdeas2019, l’accessibilité est en passe de devenir beaucoup plus grand public, et pas seulement du côté de Microsoft.
EXTRAIT Satya Nadella pour Big Ideas 2019 : « À partir de 2019, [le design inclusif] va commencer à devenir beaucoup plus conventionnel. Et ce, bien au delà de Microsoft, je pense. Mais je pense que ce concept de design inclusif et les avancées en terme d’intelligence artificielle, le couplage des deux, la juxtaposition des deux, c’est ça qu’on aimerait voir mis en place de manière beaucoup plus conventionnelle dans le développement de la prochaine génération de produits. »
EXTRAIT Satya Nadella pour Big Ideas 2019 : « Au lieu de se dire que ce produit va convenir à plus ou moins toutes les personnes valides, et si on soignait plutôt la conception en amont pour que ça convienne à tout le monde indépendamment des capacités de chacun ? Et on s’y astreint durant toute la phase de conception. »
Au cours du tournage de ce reportage, j’ai été sensibilisée à un dernier frein à l’accessibilité, que j’ai déjà partiellement évoqué. Derrière des slogans comme “pour les joueurs” ou “tous gamers” cohabite une réalité un peu plus moche : c’est l’exclusion sociale. Au delà des jeux eux-mêmes, l’inclusion s’arrête net. La plupart des salons n’est pas pensé pour les accueillir, et il en va de même pour l’e-sport, les LANs, les présentations et un paquet d’événements sociaux autour du jeu vidéo, bien que là encore, ces dernières années ont montré des signes de changement de ce côté. David Combarieu est également président de l’association Handigamers. L’année dernière, il a organisé une opération pour emmener plusieurs de ses membres à la Paris Games Week.
David Combarieu, co-fondateur de Hiclic : « À la Paris Games Week 2019 on a accompagné, je pense, pas loin d’une dizaine de joueurs, où on a participé à leurs frais, on les a aidés à venir. Pour certains, c’est la première fois qui venaient, donc ils étaient vraiment très, très contents de pouvoir participer. Et puis on a aussi on a payé des invitations, on a essayé d’aider d’autres asso’ qui avaient pas mal d’adhérents qui voulaient venir mais qui avait aussi des problèmes de coûts donc on a donné un peu un coup de main tous ceux qu’on pouvait. L’exemple que je pourrais citer c’est Alex qui n’a pas pu venir l’année dernière à Paris Games Week, qui a remué ciel et terre avec des campagnes Ulule etc. pour essayer de financer son déplacement et je me suis dit : « il y a vraiment un problème de coût pour une personne qui n’habite pas si loin que ça » —il est à quelques centaines de kilomètres de Paris—. Mais c’est une telle une telle logistique pour venir que je me suis dit : « il faut qu’on essaie de faire des petits appels aux dons etc. pour que ces gens là qui sont des passionnés, qui ont envie de participer, qui ont envie de faire de la compétition, puissent venir. »
De son côté, Théo a monté la team e-sport Rebird.
Théo Jordan, fondateur de l’équipe e-sport Rebird : « Alors, Rebird, du coup, c’est une structure qu’on a créée en septembre 2019. Ca fait un moment qu’on est dessus mais elle a vraiment été créée en septembre 2019. Donc, c’est une équipe de joueurs professionnels qui ont une particularité : c’est qu’ils ont tous un handicap. Et, donc, l’objectif c’est de permettre à ces joueurs handi de pouvoir concourir lors de LANs nationales et internationales, de permettre de répondre à leurs besoins que ce soit d’accessibilité au niveau des tournois mais aussi tout ce qui va autour : tout ce qui est moyen de transport, aussi staff médical pour certaines personnes, donc voilà. Nous, ce qu’on veut, c’est créer vraiment une team de joueurs handi et non-handi aussi qui montre que malgré leur handicap on peut arriver à un niveau professionnel et concourir dans le milieu de l’e-sport. »
Bilan : les freins
Si l’on devait dresser un bilan de l’accessibilité, il serait à son image : éclectique, complexe, plein de freins mais également plein de promesses. Le premier frein, c’est bien évidemment la multiplicité des handicaps. C’est d’ailleurs un frein qui a trait à l’accessibilité au delà de l’industrie vidéoludique. Sophie Cluzel, secrétaire d’état chargée des personnes handicapées, l’évoquait en février 2020 sur le plateau du Grand Rendez-Vous.
EXTRAIT Sophie Cluzel pour le Grand Rendez-Vous : « Sur ces 12 millions de personnes handicapées, la variété de handicaps est extrêmement importante. Des déficience sensorielles, des difficultés psychiques, autisme, personnes à mobilité réduite, sensorielle… C’est une variation de handicaps. »
Le problème ne réside pas tant dans la multiplicité de ces handicaps que dans la méconnaissance de leur pluralité, notamment du côté des handicaps invisibles. Il existe sûrement bien trop de particularités pour arriver un jour à un parfait design universel, mais cela n’en reste pas moins un voeu pieu qui guide énormément de chercheurs et designers à plein d’échelles différentes. Un autre frein à l’accessibilité, c’est un manque de connaissances du côté des sciences. Ne vous y trompez pas : la recherche en accessibilité, qu’elle soit corrélée de près ou de loin au jeu vidéo, a des années de thèses et d’études derrière elle. Cependant, le champ de recherche est vaste, notamment du côté cognitif.
Gwendolyn Garan, knowledge manager (Don’t Nod) :« C’est dur de classifier, classer tout ça et de comprendre les différences. Et puis il y en a tellement, des différences, justement : entre l’autisme, un TDA, un dyslexique, une personne avec un retard parce qu’il y a un manque d’oxygénation au cerveau, enfin… il y a tellement de choses, enfin, c’est très, très dur du coup de classer. Il faudrait faire une observation pour chaque cas, voir ensuite où ça se regroupe et puis, du coup, dans la plupart des études même que j’ai pu lire, ils ne cherchent pas à comprendre : ils mettent tout dans le, enfin, ils font un global, et puis ce qui ressort c’est pareil, enfin, tu fais ta loi normale et puis ce qui ressort, tu le gardes, et tant pis pour les extrêmes, quoi. »
D’après Sophie Cluzel, les handicaps invisibles représenteraient la plus large majorité des handicaps.
EXTRAIT Sophie Cluzel pour le Grand Rendez-Vous : « Aujourd’hui, force est de constater que, que ça soit au niveau de la représentation nationale, nous n’avons pas de personnes en situation de handicap à la hauteur de la diversité. La complexité, c’est que 80% des handicaps sont invisibles. »
Peter Pescari, médiateur e-Lab (Cité des Sciences et de l’Industrie) : « La vision du handicap, pour beaucoup de gens, c’est des handicaps visibles. Tu vois quelqu’un, une personne à mobilité réduite dans un fauteuil, c’est visible. Tu vois quelqu’un à qui il manque un membre, c’est visible. Mais tu as tous ces handicaps invisibles qui, du coup, les gens ne prennent pas conscience. Tu arrives et tu parles à quelqu’un et d’ailleurs on a tous cette réaction là : on parle à quelqu’un et là, la personne te fait le signe [de sa surdité] comme ça, et tu dis : « ah, d’accord, il faut que j’adapte ma communication » et là tu vas essayer de dire : « bon, est-ce que vous pouvez lire sur mes lèvres ? Est-ce qu’il faut que je parle plus doucement ? Est-ce qu’il faut que je parle plus fort ? Et, effectivement, les handicaps invisibles font que la prise de conscience c’est pas la même. Quand on parle handicap, les gens voient tout de suite quelqu’un dans un fauteuil, tu vois. Et tous les handicaps cognitifs, bah, c’est des handicaps invisibles, et dans un jeu, quand tu as par exemple des séquences de— les QTE : est-ce que les QTE sont adaptées à tous les joueurs ? Des fois ça demande des timings de ouf, et bah quand tu as une difficulté cognitive, tu vois un triangle, pour tous les joueurs le triangle on sait que c’est la touche du haut sur PS4, et bah si tu as une difficulté cognitive, tu vas peut-être mettre plus de temps à identifier cette touche sur ta manette et là tu vois la séquence qui passe et tu as perdu la séquence, tu vois. »
Profiter du jeu vidéo sans se poser de question, c’est aussi avoir la chance de pouvoir jouir d’un certain entre-soi. Un validisme latent qui flatte le hardcode gamer mais qui fait aussi de l’ombre à une population moins chanceuse. En 2019 est sorti Sekiro, la dernière production de From Software, et avec elle est ressortie une vieille polémique qui flirte avec le validisme. Faut-il rendre Sekiro plus facile, à la demande de personnes trouvant le jeu trop difficile d’accès ? À la lumière du début de ce documentaire, ne percevrez d’ailleurs peut-être plus ce débat de la même manière. Car oui, cela a créé un débat à l’échelle internationale dans le milieu du jeu vidéo, et pas le premier. Pourtant, la scission des tolérances quant aux capacités de chacun exclue par la même occasion toutes les personnes qui auraient bien besoin d’un petit coup de pouce pour pouvoir jouer.
NanoLoutre, streameuse (Twitch) « Alors, c’est pas une option d’accessibilité en soi, mais, vraiment : même si ce n’est pas toujours agréable de devoir passer le jeu en facile parce qu’on a peur les moqueries des autres, parce qu’on se dit que ce n’est pas une vraie expérience de jeu ou un autre cliché, il ne faut pas hésiter à mettre son jeu en facile. Si ça peut nous permettre de prendre du plaisir dans le jeu et surtout
de pouvoir le terminer quand on a peu de force ou d’énergie à donner pour le faire, c’est précieux. »
Parmi les détracteurs à la facilitation d’accès aux jeux, on retrouve l’argument de la vision d’auteur. Pour se poser la question, il faut d’emblée conférer au jeu vidéo deux propriétés : la première est de le considérer comme une forme d’art, ou ayant un caractère artistique. La seconde est d’estimer qu’il est affilié à une paternité, quand bien même cela peut aller de dizaines à des centaines de mains différentes. Dans d’autres secteurs du divertissement et de l’art, de nombreux exemples prouvent cependant que les options d’accessibilité n’entrent pas forcément en conflit avec l’intention d’une oeuvre. Le jeu vidéo
qui vient soutenir cette cohabitation, c’est Céleste.
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « Je comprends le mode élitiste. J’ai été compétiteur dans le sport tradi’ et la perf’, tout ça, j’adore. La compète, il n’y a pas de sujet. La confusion, elle vient du fait que, aujourd’hui, l’accessibilité est synonyme de dégradation, alors que ça doit être synonyme de choix, en fait. D’adaptation. On a un exemple qui est imparable, et on adorerait parler en tête-à-tête avec chacune des personnes qui sont pas convaincues de ça, c’est le jeu Celeste. Celeste c’est un de hardcore game, c’est fait pour en chier tout le temps, c’est fait pour recommencer whatmille fois, et c’est cool. Le design est cool et il y a plein de gens qui se retrouvent dans ce type de jeu et c’est vraiment une expérience magnifique. Néanmoins, et c’est complètement assumé par les développeurs, il y a cet assist mode qui, quand on rentre dedans au niveau du menu, nous accueille directement par 4 ou 5 splash screens qui nous expliquent de manière très simple que *nous on a créé Celeste en tant que enfin comme une expérience hyper difficile hardcore et pour ce genre de joueurs qui aiment ça, néanmoins on ne voit pas pourquoi d’autres profils de joueurs auraient pas accès à tout ce qu’on a mis dans le comme effort et comme passion dans le jeu, que ça soit au niveau graphique, expérience, histoire*, enfin… plein de manières d’apprécier aussi les jeux, et du coup ils proposent de pouvoir régler différents critères de difficultés jusqu’à un mode invincible, donc, avec trois ou quatre paramètres de mémoire et qui vont permettre à des gens qui ont pas les capacités motrices ou cognitives ou juste qui n’ont pas le temps —et je fais partie de cette dernière catégorie, j’ai pas envie de me faire chier 60 heures sur un niveau alors que j’ai une heure par semaine à consacrer aux jeux vidéos, donc, non, j’ai pas envie de recommencer mille fois, j’ai envie de kiffer le truc, et puis oui j’ai envie d’en chier un petit peu mais si ça peut aller vite c’est mieux—. Et j’ai pas forcément de contraintes motrices ou cognitives ou sensorielles, juste que, voilà, j’ai payé le jeu, je veux bien aller voir au bout parce que la proposition artistique / de design / machin me plaît et par contre j’ai pas le temps, donc c’est c’est du confort. »
Un dernier frein a été évoqué durant ce documentaire. C’est le problème de circulation de l’information. Finalement, bien que la problématique concerne une très large frange de joueurs, même quand ceux-ci
l’ignorent, c’est une thématique qui reste nébuleuse pour celles et ceux qui n’y sont pas été confrontés ou sensibilisés.
Théo Jordan, fondateur de l’équipe e-sport Rebird : « Le jeu vidéo, pour moi, je trouve que c’est quand même un excellent palliatif à tout ce qui est dépression et aussi douleurs, parce que, quand on est handicapé, on vit quand même avec des douleurs qui sont constantes et permanentes, et le fait d’être en immersion dans un monde, d’avoir une histoire permet un peu de se sortir un peu de ce quotidien, et c’est pour ça que je vidéo et handicap marchent bien. Il faut communiquer, il faut montrer que il y a des joueurs handi, il y a une une vraie demande, il faut montrer déjà tous les toutes les personnes qui travaillent sur ce sujet là, que ce soit des petits producteurs, que ce soit des développeurs de jeux, enfin, il faut parler de tout ce qui se fait. Et, après, c’est vrai que, nous, on a vraiment voulu rentrer dans le secteur de l’e-sport parce que c’est le moyen de faire la meilleure visibilité : de montrer que on peut jouer tous ensemble. Pour moi l’e-sport, comme j’expliquais tout à l’heure, c’est une discipline qui est vraiment superbe parce que personnes handicapées et valides peuvent jouer ensemble et se défier sans frein et sans barrière. »
Bilan : les promesses
Parmi les promesses qui font du bien à l’accessibilité, il y a l’avancée technologique. Les consoles évoluent —nous sommes à la veille d’une nouvelle génération de consoles—, le contenu se dématérialise et des technologies telles que le streaming offrent de nouvelles possibilités. L’accessibilité a également bénéficié d’un petit coup de pouce législatif : le CVAA, pour Communications and Video Accessibility
Act. Cette loi votée aux Etats Unis en 2010 vient étoffer le Americans with Disabilities Act de 1990 en conformant tous les outils technologiques de communication à la possibilité d’être utilisés convenablement par des populations en situation de handicap. On retrouve parmi elles les personnes aveugles, malvoyantes, daltoniennes, dyslexiques, malentendantes, sourdes, muettes, et les personnes avec des conditions motrices et cognitives limitantes.
La loi ne concerne pas spécifiquement le jeu vidéo puisqu’elle concerne tous les dispositifs de communication électronique, du distributeur de billets aux liseuse d’e-books en passant par les smartphones. Mais les consoles et PC actuels bénéficiant d’outils de communication comme du tchat écrit ou vocal, l’industrie présente sur le marché américain a donc été enjointe à se conformer à ce nouveau standard. Sachez que pour cela, un délai a été accordé au secteur du jeu vidéo. Et, la fin de ce délai, c’était début 2019. Parmi les exemples de conformité, on retrouve néanmoins pas mal de similarités avec les options d’accessibilité du jeu vidéo, comme par exemple la possibilité de réaffecter les touches, l’UI réglable, le text to speech ou encore une police d’écriture adaptée à la dyslexie. En Europe, une directive similaire a été proposée en 2015. C’est le European Accessibility Act. Cet acte a d’ailleurs été approuvé par le Parlement Européen en Mars 2019.
En mai 2016, PlayStation publiait sur sa chaîne YouTube une vidéo montrant l’ajout d’options d’accessibilité pour le jeu Uncharted 4. Elle narre la rencontre entre une UI designer et une personne en situation de handicap moteur qui avait demandé à la rencontrer. Leur discussion a débouché sur la réflexion puis l’implémentation d’options d’accessibilité durant le développement du jeu. Si je vous
raconte cette histoire, c’est parce qu’elle porte en elle les marques d’un allié inattendu mais puissant de l’accessibilité : les réseaux sociaux. On m’a beaucoup évoqué les réseaux sociaux comme élément favorable à l’accessibilité. D’un simple clic, on apostrophe. On discute, on explique, on montre. Avec un réseau social comme Twitter, il n’a jamais été aussi simple d’entrer en communication avec ceux qui créent le jeu vidéo.
Gwendolyn Garan, knowledge manager (Don’t Nod) : « Quand j’ai fait la conférence à l’UX Summit, à la fin m’a posé la question de : « mais où est-ce qu’on les trouve, les joueurs en situation de handicap ? » et puis j’ai regardé la personne et je lui ai dit « mais, ils sont
partout ! » Enfin, vous allez sur les réseaux sociaux et ils sont là à crier « eh oh, j’existe, j’ai tel handicap, j’aimerais bien discuter avec vous pour pouvoir accéder à tel type de jeu etc. », et en fait elles sont partout ces personnes. C’est juste que, à un moment donné, il faut juste baisser les yeux et les regarder, et pas de façon condescendante, ce serait bien aussi. »
Des avocats de l’accessibilité émergent et viennent publiquement soutenir la thématique. Ils et elles renseignent et enseignent, prennent la parole dans des conférences, interviennent dans des ateliers de sensibilisation.
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « On a la vision à partir de 2010, en gros, où il ne se passait absolument rien, c’était le désert de Gobi, tout le monde s’en foutait. C’était même pas un sujet, globalement, qui pouvait être à l’esprit des gens dans le domaine du jeu vidéo parce qu’une des problématiques de base c’est la méconnaissance de l’existence des joueurs en situation de handicap. Donc le premier travail qu’on a qu’on a eu à faire et qu’on fait encore, c’est dire « bah oui il y a des gens qui ont des capacités différentes qui jouent ou qui ont envie de jouer à vos jeux vidéo » – « ah ? ah ouais ? ». Ben ouais, la personne handicapée ou en situation de handicap, sa vie n’est pas dédiée qu’aux soins et à la survie, il y a aussi toute une frange —et sûrement beaucoup plus centrale que chez d’autres personnes— qui est axée sur les loisirs et sur l’accès aux loisirs. Donc, ça s’en a surpris beaucoup, ça en surprend encore un peu, et du coup il y a beaucoup d’éducation à faire là dessus. Cette Paris Games Week 2017 a été vraiment le point charnière. Avant, donc, c’était… c’était un peu rien, et à partir du moment où on a eu cette invitation du SELL à la Paris Games Week en 2017, ça a été concomitant avec plein d’autres choses qui sont passées par ailleurs : Ubisoft s’est rapproché de nous, Microsoft est rapproché de nous, les gens ont commencé à —pour prendre la métaphore du téléphone— donc ils décrochaient quand on appelait, parce qu’avant ils ne décrochaient même pas, ou quand ils nous répondaient, c’était plutôt des fins de non recevoir, et là on a vraiment, vraiment senti la différence de prise en compte, de mentalité et de philosophie. »
Là encore, la décennie à venir s’annonce plus qu’intéressante. Enfin, la dernière promesse réside dans chacun de nous. Au fil du temps, la société évolue. Comme un bon vin, elle se bonifie. On acquiert plus de compréhension et plus de sagesse. Enfin, en théorie. À l’aube de cette nouvelle décennie, l’accessibilité n’a jamais été un sujet aussi présent au sein de l’industrie vidéoludique, bien qu’il faudra sûrement encore plusieurs années avant de pouvoir tendre vers un vrai jeu vidéo accessible.
Jérôme Dupire, co-fondateur de l’association CapGame : « Globalement, je pense que 2017 —c’est pas aussi discret que ça, mais— c’est une période où le handicap et l’accessibilité c’est moins tabou. C’est moins tabou pour des bonnes et des mauvaises raisons : on en parle plus, ou on n’arrive plus à considérer les personnes en situation de handicap, les politiques se sont globalement appropriées le sujet pour faire monter des chiffres ou une popularité, etc. Bref, donc, on en parle plus, globalement. »
NanoLoutre, streameuse (Twitch) : « En tant que streameuse, j’essaye de donner le meilleur de moi, de partager avec les spectateurs, même si mon statut d’handicapé n’est pas toujours très, très bien accueilli par tout le monde, on ne va pas se mentir. Mais je suis contente, quand même, de pouvoir donner, même à ces personnes là, une image du handicap qui joue. On me dit beaucoup que je n’ai pas l’air handicapée parce que je vais sourire, je vais rire, dire beaucoup de bêtises pendant mes jeux, mais si les gens acceptent que c’est ça aussi le handicap : être passionné, heureux, ou rager sur ce jeu comme tout le monde, ça pourrait aider à démocratiser l’accessibilité dans le jeu vidéo. »
CONCLUSION
Alors, c’est quoi l’accessibilité ? Hé bien, c’est tout ça. Et ça en est où dans le jeu vidéo ? À un moment charnière, je dirais. Beaucoup de choses ont été faites, et énormément restent encore à faire. Grâce à la recherche, aux infrastructures, aux réseaux sociaux et aux avancées technologiques, nul doute que cette décennie et sa nouvelle génération de consoles risque d’avoir un goût différent. Si je deviens sourde, est-ce que je pourrai quand même continuer de jouer ? Hé bien, grâce à toutes ces personnes et bien d’autres : probablement, oui.
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Cet article est une retranscription écrite de mon dossier vidéo HARDMODE : jeux vidéo et accessibilité publié en 2023
Pour aller plus loin
Cette vidéo accompagne un article que j’ai écrit dans les colonnes du magazine de presse en ligne Gamekult en 2020 et qui est toujours consultable en version libre ici : https://www.gamekult.com/actualite/handicap-et-jeu-video-en-2020-l-accessibilite-n-est-plus-une-option-3050831221.html